Quelle belle soirée c’était !
Quelle belle soirée c’était ! Nous étions tous réunis. Ma femme, mes enfants, ma petite sœur, dix-sept ans plus jeune que moi, son mari, ses enfants, nos amis. Et puis, elle était là, Elle !
Nous étions tous dehors, par cette magnifique soirée de fin d’été, le fond de l’air était chaud. Nous venions de rentrer de vacances, je me sentais bien, reposé, prêt à attaquer une nouvelle année de travail, serein. Je me laissais porter par cette très légère brise, juste suffisante pour assainir cette fin de journée qui avait encore été caniculaire. Lundi, la rentrée, le bureau, les collègues…
Et puis, elle était là, Elle !
Les tables étaient dressées, simples, à la bonne franquette, un dîner relax qui allait sonner la fin de la récré estivale. Le vin était frais, les joues des femmes étaient rosées, par le rire, le plaisir, et peut-être un peu par le kir aussi. Elles discutaient entre elles, pendant que nous, les hommes, nous nous affairions autour du barbecue. Les enfants (petits-enfants devrais-je plutôt dire) couraient, criaient, jouaient, à qui du pirate ou du gendarme arriverait le premier au trésor. Image parfaite de bonne famille, de bonne société. Un décor à la Manet !
Et puis, elle était là, Elle !
Je me souvenais d’elle toute petite, je l’avais un peu perdue de vue ces dernières années. Elle avait changé, elle avait tellement changé. Elle avait tellement grandi, mûri ! Son visage n’était plus celui d’une enfant, on sentait la femme émerger sous ces traits encore juvéniles.
Plus la soirée avance, et plus je la vois. Toutes les images tournent autour d’elle. Elle est ici, elle est là, elle est partout à la fois. Où mon regard se pose, elle est là, à moins que ce ne soit mon regard qui ne la suive. Elle m’attire, elle me perturbe, elle me trouble aussi. Tandis que ma femme me tend une nouvelle assiette, que je prends d’ailleurs sans même m’en rendre compte, je la regarde, je l’écoute. Elle m’éblouie, elle fait table rase de toutes mes valeurs. Je suis seul, je n’entends plus rien, ni personne, je suis dans une bulle et je n’aspire qu’à une chose, percer cette bulle pour la rejoindre. Lui tendre la main et l’attirer dans mon monde, réintégrer ma bulle mais avec elle. Elle, elle et moi, seuls… Que ferais-je si j’étais seul avec elle ? Allons, mon vieux, tu la connais la réponse… Tu essaierais de la séduire, vieux renard que tu es !
Elle est si belle, pétillante, ouverte à la vie qui lui tend les bras, alors que toi, qu’est-ce qui t’attend ? Tu viens de fêter tes cinquante printemps, ou hivers d’ailleurs, tu ne sais même plus… Alors quoi ? Qu’espères-tu ? Un regard ? Un sourire ? Un geste, un baiser même peut-être ? Tu ne sais plus, tu ne réfléchis plus. Les vapeurs d’alcool t’empêchent de raisonner, seuls tes sens sont en éveil, seuls tes sens guident tes gestes.
Alors, j’avance, je parle, je ris, j’essaie de rentrer dans son monde. Et elle rit, elle m’écoute et elle rit. Elle délaisse sa conversation pour se tourner vers moi. Elle aussi a un verre à la main, elle aussi a les joues rosies, rosies par cette belle soirée, ou rosies par le plaisir que je lui procure en la faisant rire. Va savoir !
Je la regarde, je regarde ses yeux, ils brillent, je regarde sa bouche, elle s’entrouvre légèrement, je regarde sa peau, elle est si jeune, elle est si belle. Ses longs cheveux bouclés encadrent son visage, mal ordonnés, chahutés par ce petit vent du soir. Ils sont libres, libres de leurs mouvements.
La nuit approche, le vent se lève, et la fraîcheur tombe petit à petit. Les verres se vident, les lumières s’allument à l’intérieur de la maison, les voix s’estompent, les gens autour de nous s’effacent, les portes et les fenêtres se ferment pour ne pas attirer les moustiques.
Je me retrouve seul, seul avec elle, elle semble captivée par ce que je lui raconte, elle est totalement prise dans mon giron.
Et elle est belle, mon Dieu qu’elle est belle. Plus elle rit, plus elle m’attire. Sa voix me transporte, son rire me fait voyager, elle m’absorbe autant que je semble l’absorber, elle !
Alors, je l’entraîne doucement, discrètement, elle me suit, elle boit mes paroles, comme moi, je bois les siennes. Je l’attire vers un petit banc, à l’écart, le jour à l’ombre du grand chêne, la nuit comme maintenant, à l’ombre des regards. Je m’assoie, lui tend la main, elle la prend, alors je l’incite à s’asseoir elle aussi.
Elle me regarde, bizarrement, elle aussi sent que quelque chose est en train de se passer. Elle ne sait comment réagir, et … ne réagit pas. Elle ne dit rien lorsque je passe mon bras autour de ses frêles épaules, peut-être apprécie-t-elle la chaleur qui s’en dégage ? Alors, je continue de parler, elle est comme une petite fille qui a peur que l’histoire se termine, elle attend, je le vois dans ses yeux, dans ses gestes incertains.
Petit à petit, ma main descend le long de son bras, et je commence à la caresser, comme pour la réchauffer, naturellement. Elle recommence à me regarder bizarrement. Alors mon autre main, lui prend son autre bras, et je commence à me faire plus directif. Mes caresses descendent du bras vers la hanche, elle me regarde bizarrement, puis de la hanche vers le haut de sa cuisse, elle me regarde bizarrement, mais je continue, c’est plus fort que moi, j’en ai trop envie.
Ça y est, ma main est entre ses jambes, d’un seul coup, je la caresse fort, son regard change, elle est effrayée, je le vois mais je continue, elle tente de se lever mais ma main gauche la maintient fermement et elle reste là, captive, à ma merci. Elle ne dit rien, tout passe par son regard et je continue, je la tiens, et je la caresse, je lui caresse les seins maintenant. J’ai l’impression que j’ai retenu ce geste pendant trop longtemps, je me libère de mon envie, alors que je la piège, elle.
Et là, soudain, elle parvient à se lever, et là, d’un seul coup, je me rends compte qu’elle est en train de dire non. Depuis, le début, elle disait non mais je ne l’entendais pas, je ne voulais pas l’entendre. Pourquoi dire non à un si joli moment ? C’était une si belle soirée !
Nous sommes face à face. Elle est debout devant moi, me regarde, mi- surprise, mi- affolée… Je vois dans son regard l’immensité de son incompréhension, ses pensées qui se bousculent. Mais elle ne dit rien. Peut-être même regrette-elle d’avoir dit non, de s’être soustraite à mon étreinte….
A la base, c’est une histoire toute simple après tout, vieille comme le monde. Un homme, d’un certain âge, certes, aborde une femme, une femme jeune, certes. Une histoire comme il en existe des milliers tous les jours, partout, mais pour elle c’est différent.
Je la regarde, je la regarde et enfin, je la vois. Je la vois telle qu’elle est : une femme, enfin, une femme…une jeune fille, une très jeune fille même. C’est vrai, elle n’a que treize ans, ma sœur n’en avait elle-même que vingt lorsqu’elle l’a mise au monde !